Clare & Irina
Panic station

Irina jeta un coup d’œil à sa montre. Il était à peine huit heures du matin. Parfait, elle était dans les temps. Prendre un avion nécessitait de se retrouver à l’aéroport bien à l’avance, et son vol ne décollait qu’à onze heures. La jeune femme, qui venait d’arriver à l’aéroport, aurait largement le temps d’aller s’enregistrer et de prendre un bon petit déjeuner à la cafétéria avant son départ. Elle venait tout juste d’arriver, et, repérant le numéro de son vol sur le panneau d’affichage, elle se dirigea vers le guichet de sa compagnie aérienne afin de s’enregistrer. Patiemment, elle fit la queue, au milieu des enfants pleurnicheurs et des parents au bord de la crise de nerfs. Cela n’entâcherait pas sa bonne humeur. Son voyage en Ukraine était prévu depuis plusieurs semaines, tout son entourage là-bas était prévenu et tous se faisaient une joie de la revoir, ce qui était réciproque. Quand vint son tour, Irina présenta les documents nécessaire à une jeune femme qui, au vu du badge accroché à sa veste de tailleur bleu marine, répondait au doux nom de Clare. L’hôtesse d’accueil fit son travail mécaniquement, d’un geste sûr et avec politesse, et Irina la remercia d’un sourire chaleureux. La jeune femme posa sa valise sur le tapis roulant et, enfin débarassée de son bagage, se dirigea vers la cafétéria. Malheureusement, celle-ci était littéralement bondée. Rien qu’en s’approchant, on pouvait le déduire au vu du brouhaha qui s’en échappait. L’ukrainienne fit la queue une nouvelle fois tant bien que mal, et sans broncher, guettant le ballet incessant des voyageurs. Une fois arrivée au comptoir, elle commanda un grand mocaccino ainsi qu’un cookie aux noix de pécan et noisettes, regardant avec gourmandise le jeune homme qui la servait préparer son petit-déjeuner. Puis, plateau en main, elle tâcha de trouver une place. C’est finalement une table face au comptoir qu’elle repéra, occupée par trois personnes, la quatrième chaise étant vide. Elle demanda poliment à prendre cette place laissée à l’abandon et put s’asseoir, les autres occupants lui expliquant qu’ils avaient de toute façon bientôt terminé. Aussi se retrouva-t-elle seule, avec son petit-déj’ et L’île au trésor de Stevenson, son livre favori. Elle parcourut distraitement quelques pages, sirotant son délicieux moca, jusqu’à ce que ses yeux soient attirés par une forme bleue dans son champ de vision. La jeune hôtesse d’accueil de tout à l’heure, elle aussi en quête d’une petite place. Clare, c’était bien ça ? Elle était probablement en pause, ou alors elle travaillat de nuit et venait de finir son service ? Irina agita sa main dans sa direction pour attirer son regard. Certes, elles ne se connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, mais Irina monopolisait toute une table… Elle lui proposait une place par politesse, et si elles pouvaient papoter un peu, ça ne serait qu’un plus. La jeune femme sembla la remarquer et prit place à sa table. « Rebonjour. » sourit Irina à son intention. « Je croyais que le métier d’hôtesse d’accueil était tristement réputé pour ses pauses quasi-inexistantes ? » Elle tenta l’humour avec un brin de malice dans le regard. La dénommée Clare avait l’air jeune, peut-être travaillait-elle à mi-temps après tout. Irina porta sa tasse à ses lèvres, mais elle ne put entendre la réponse de son interlocutrice. Sa voix fut couverte par une annonce qui résonna dans tout le hall de l’aéroport. « Mesdames et messieurs, votre attention s’il vous plaît. Le vol US 856 à destination de Kiev, décollage initialement prévu à onze heures sept, est annulé pour des raisons de sécurité. Notre équipe reviendra vers vous le plus rapidement possible afin de vous tenir informés de l’évolution de la situation. Merci de votre attention. »

L’ukrainienne manqua de s’étouffer avec son café. Annulé ? Et puis quoi encore ? Irina se dévissa le cou pour tenter d’apercevoir le panneau d’affichage qui indiquait les départs des avions de l’aéroport. Et le « ANNULÉ » qui se trouvait à côté du numéro de celui qu’elle devait prendre était bel et bien  apparu et semblait ne pas vouloir s’effacer. Comme pour la narguer. Un voyage qu’elle avait prévu depuis si longtemps… Retourner pour quelques jours dans son pays natal et y voir ses proches la rendait folle de joie. Elle avait pris des congés exprès auprès de la clinique, refourgué son chien à son père, prévenu tout le monde en Ukraine, et maintenant elle avait l’air fin, comme ça, plantée au milieu de la cafétéria de l’aéroport de Georgetown.

Il fallait s’y attendre aussi. Il faut dire que les tensions en Ukraine rendent l’avenir très aléatoire, et il y avait probablement une très bonne (si l’on peut dire) raison là-bas pour avoir annulé ce vol. Restait à savoir ce qui pouvait bien s’être passé à l’aéroport de Kiev pour justifier cette annulation. Pour que l’annulation ait lieu si peu de temps avant le décollage, la cause du problème devait être lié à une simple menace. Irina n’était pas inquiète. C’était très courant, mais Kiev n’était en général pas le cœur des attaques, lorsque attaques il y avait. Néanmoins dépitée, la brune reposa son regard sur Clare, une moue digne d’une petite fille attristée sur le visage.  « Et bien on dirait que mon emploi du temps vient de grandement se dégager. Vous avez quelques minutes pour écouter les lamentations d’une voyageuse frustrée ? » Comme si elle n’en entendait pas déjà tous les jours, la pauvre… Bien joué Ira, c'est très moyen comme tentative d'approche.

BY .TITANIUMWAY