Du sang. Des morts. Du sable. C'est tout ce dont je me souviens de la guerre. Je n'ai que des flashs qui me reviennent de temps à autre. C'est étrange quand on sait que je n'ai pas perdu la mémoire. Pourtant c'est comme si mes seules souvenirs que j'avais se résumaient à la mort et la souffrance. Je ne me souviens que de ça. J'entends même parfois les cris de mes camarades tombés au combat à mes côtés. Il m'arrive aussi de les voir dans mon sommeil, durant mes cauchemars. Je revis les combats. Les morts. Et puis à la fin, c'est moi qu'on achève. Une balle dans la tête et voilà que je me réveille en sueur, la boule au ventre. Puis quand je lève les yeux, je constate que je suis dans la rue. Seul. Sans un sous. A dormir sur un matelas pourri. Je ne me plains pas, c'est toujours mieux que la guerre. Néanmoins, c'est pas vraiment la vie que j'imaginais à mon retour. Je pensais au moins vivre dans un appartement. Avoir un job fixe. Une vie normale, quoi. Mais les choses se sont passées autrement. Il faut que je l'accepte.

Aujourd'hui -et depuis quelques jours-, je fais la plonge dans un bar, le patron voulait absolument pas me voir servir. Avec ma jambe boiteuse, il voulait pas que la clientèle pense qu'il engage des culs de jatte. Alors il me fait faire la plonge comme ça personne me voit et tout le monde est content. Mais ce soir, y'avait personne pour servir les clients. Le patron du bar n'avait pas d'autre choix que de me faire faire des heures sup' et m'offrir une promotion occasionnel. C'est comme ça que je me suis retrouvé derrière le bar. « Elle arrive cette bière ?! » hurle le type assit à une table dans la salle. Je lève la tête en sa direction lui adressant un sourire faussement désolé puis je m’attelle à la tache. Ma jambe me fait mal, je grimace légèrement à cause de la douleur. Les toubibs m'ont bien dit de ne pas rester trop longtemps debout. De ne pas trop forcer sur ma cuisse. Mais ces derniers mois, j'ai fais tout ce qu'il ne fallait pas que je fasse. Ce qui explique mes douleurs de plus en plus fréquentes ces derniers jours. Une fois le verre rempli, je le dépose sur le plateau et part en direction de la table. A chaque fois que je m'appuie sur ma jambe droite, la douleur me force à boiter. J'essaie pourtant de ne pas montrer que je souffre. Je finis par arrivé à hauteur du client qui me jette un regard noir. « Désolé, j'avais d'autres commandes à gérer. » m'excusai-je alors. Le type jette un rapide coup d’œil dans la salle pour se rendre compte qu'il y avait personne, mis à part une jeune femme au comptoir. Quand il repose son regard sur moi, je me redresse et fait demi-tour avant qu'il me dise quoique ce soit. En marchant, je baisse la tête vers ma jambe meurtri, me demandant si un jour elle se décidera à cesser de me faire souffrir. Je relève le regard qu'au moment où j'arrive derrière le comptoir déposant par la même occasion le plateau. J'attrape le chiffon sur les portes du placard et me met à essuyer les verres. A aucun moment, je lève les yeux. Je suis comme plongé dans mes pensées. Pourtant, au bout de quelques minutes j'entends de l'agitation. Je finis par lâché du regard la vaisselle pour regarder devant moi. C'est là que j'aperçois l'homme que j'ai servis il y a quelques minutes de ça entrain de draguer lourdement la jeune femme au comptoir. Comment j'ai pu rester là sans rien faire ? Je pose le verre et le chiffon que j'avais dans les mains et je m'approche du bar. « Tout va bien, mademoiselle ? » demandai-je à la jeune femme ignorant l'homme à ses côtés. Ce dernier prend la parole à sa place s'approchant un peu plus d'elle. « T'occupe le boiteux, sers moi plutôt une bière. » je fronce les sourcils, regardant à nouveau la jeune femme. « Vous voulez que je vous laisse avec lui ? » lui demandai-je, après tout peut-être qu'elle le connaît. Et peut-être que je me mêle de quelque chose qui ne me regarde pas.

Et voilà. À chaque fois que je quitte mon domicile dans le but de décompresser un peu, rien ne se passe comme prévu. La dernière fois je me suis tout de même retrouvé en cellule de dégrisement... Bon ce n'était pas ma faute mais voilà, je voulais juste profiter avec mon amie, pas finir entre les barreaux et en plus de ça, face à Angie ! Et même quand je sors seule boire une verre dans le but de me détendre, un homme joue les gros lourds. Oui parce que je le voyais bien me relooker depuis le fond de la salle depuis une bonne dizaine de minutes... Et maintenant, il vient m'accoster. « Hey... » me lance t-il, est-ce qu'il essaye d'être discret ? Quoi qu'il en soit et ne voulant pas être mal polie, je lui réponds la même chose. Quittant mon regard qui se pose automatiquement sur mon verre, peut-être dans le but de lui faire comprendre que s'il souhaite me draguer... Et bien ça ne sert strictement à rien. Vous pensez qu'il compte s'arrêter à temps ? « Qu'est-ce qu'une si jolie demoiselle fait toute seule ici ? » Je lui réponds par un fin sourire, oui car même si c'est vraiment lourd jusqu'ici il n'a pas été mal poli et je ne vois pas pourquoi moi je le serais... Alors je lui réponds « Elle essaye de se détendre. » Les journées sont longues en ce moment, en plus, je n'ai que mon chat George chez moi... Oh pas que c'est une mauvaise compagnie bien au contraire, mais je ne sais pas, en ce moment je me sens terriblement seule. Heureusement que j'ai mon travail... Cela peut être interprété comme un pique mais j'essaye simplement de lui faire comprendre les choses. Je bois une nouvelle gorgée de mon verre tandis que cet homme continue sur sa lancée « Je suis invité à une soirée ce soir, endroit où tu pourrais certainement te détendre. Ça te dit ? » Pourquoi j'ai cette sensation qu'il ne va pas me lâcher ? Mais me disant qu'il n'a peut-être pas encore compris, j'ajoute « C'est gentil... Mais je suis prise ce soir. » Oui j'ai rendez-vous en tête à tête avec mon chat devant Grey's Anatomy à la télé, c'est déjà beaucoup non ? Ce n'est pas un mensonge... Enfin si mais voilà ! J'y peux rien moi ! Il affiche alors un sourire narquois avant d'ajouter « Je suis sûr que tu es disponible, allez ma jolie on va bien s'amuser. » Ma jolie ? Non mais il est sérieux celui-là ? Il avait très bien compris, il est juste vraiment lourd et là je n'ai plus aucune raison de rester gentille. Alors je lui lance un regard qui lui fera de nouveau comprendre que je ne rigole pas et lui lance sèchement « Non. Mer-ci. » C'est pas vrai, il ne va pas me lâcher celui-là ! C'est bien ma veine, à croire que je les attire tous, je voulais simplement me détendre et même quand je sors seule, on trouve le moyen de m'embêter !

Mais fort heureusement, un jeune homme travaillant ici intervient, jeune homme qui est vraiment très charmant en passant... Bon je ne suis pas là pour mater mais voilà, je trouve que c'est un détail important à relever ! Il me demande alors si tout va bien et c'est à ce moment là que ce type, que je surnommerais La Glue parce que franchement je ne trouverai pas de meilleurs surnoms pour cet idiot, lui parle comme un chien. En lui disant de se mêler de ses affaires le surnommant même « Le boiteux » Je fronce les sourcils et réagit rapidement « Eh ! » D'accord, physiquement je ne fais pas peur mais quand je suis en colère, je suis en colère ! Et alors que l'employé me demande si je souhaite qu'il me laisse avec lui, je repose mon regard sur La Glue « Non mais tu vas présenter tes excuses au Monsieur ! On ne t'a jamais appris le respect quand tu étais petit ? » D'accord c'est peut-être cash mais il me tape sur le système là, et sans attendre une réponse de sa part, je réponds au charmant jeune homme « Je ne le connais pas mais il a plutôt intérêt de se calmer ! » S'il se calme pas, moi je vais le calmer vous allez voir, non mais pour qui se prend t-il ? Et là, il m'attrape par le bras dans le but de me faire descendre de mon tabouret et une fois chose faite, tentant de me détacher de son emprise il continue « Et sinon quoi ? Qu'est-ce qu'il va me faire le minimoys ? » Les gens qui me connaissent savent comment je suis, impulsive, et c'est pour ça que sans réfléchir, je prends le reste de mon verre et lui jette en pleine face « Le minimoys t'emmerde, sale con ! Lâche moi ! » Bon d'accord physiquement je ne fais pas le poids, je ne sais pas si ce connard oserait lever la main sur une femme mais je m'en fiche. Ça m'énerve quoi ! Il est déjà lourd, si en plus il manque de respect au jeune homme qui vient gentiment me demander si tout se passe bien, non mais je m'en fiche. Au pire j'ai fait de la boxe quand j'étais en primaire, je m'en sortirais, hein !

Les insultes, les moqueries, la méchanceté gratuite font presque parti de mon quotidien. Je dis bien presque parce que j'ai beau tout faire pour ignorer tout ça, ça ne m'empêche pas de les entendre, de les encaisser. Et croyez moi, tout ceci peut être une vraie épreuve. Les gens ont parfois tendance à vous faire comprendre que vous êtes inférieur à eux quand il croise votre regard. Et ce n'est pas forcément en vous insultant qu'ils vous le font remarquer, non. Par exemple, y'a quelques minutes de ça, avant que j'arrive à hauteur de ce gros lourd qui drague sans subtilités la jeune femme au bar, il m'a dévisagé de haut en bas, certainement parce qu'il a vu que je boitais légèrement. Il a dû se demander ce que je foutais là, comment j'avais pu avoir un job. Quelques secondes plus tard, il m'a dévisager à nouveau quand je me suis excuser de mon retard sur sa commande. Cette fois, il a dû penser qu'en plus d'avoir une jambe imparfaite, j'étais un idiot. C'est le regard des autres. C'est difficile de le soutenir, d'y faire face. Mais on a pas vraiment le choix. Encore plus quand on vit dans la rue et qu'on se confronte aux regards indifférents des autres. Alors comme je l'ai dis, au fil du temps ces regards deviennent une habitude, on y prête plus attention. Ça devient notre quotidien.

Tandis que je suis les yeux rivés sur ma vaisselle, j'oublie qu'il y a du monde dans le bar étant bien trop concentré sur ce que je fais. Pourtant, je capte de l'agitation et quand je relève les yeux j'aperçois cet homme que j'ai servi et la jeune femme du comptoir -les deux seuls clients-. L'homme semble être légèrement lourd avec elle alors je m'approche allant jusqu'à demander à la jeune femme -et à elle seule- si tout va bien. Sans laisser le temps à la jeune femme de répondre, son interlocuteur vient me balancer que je ferais mieux de m'occuper de ce qui me regarde avant d'ajouter une insulte que je relève à peine. Même si ce genre d'insulte ne me fait pas plaisir, je prend sur moi. D'ailleurs, si moi je ne réagis pas, la jeune femme s'indigne et lui fait très clairement comprendre qu'il a plutôt intérêt à m'adresser des excuses. Je reste les yeux fixés sur la jeune femme ignorant l'homme puisqu'il ne mérite pas plus d'attention que ça. J’enchaîne en demandant si elle souhaite rester avec cet homme. Évidemment, je suis quasi sûre qu'elle va me dire non. Elle n'a pas du tout envie de supporter sa présence. Et je crois que tout le monde l'a comprit à par cet abruti. « Je ne le connais pas mais il a plutôt intérêt de se calmer ! » Me répond-elle sans adressé le moindre regard à son interlocuteur. C'est là que les choses commencent à prendre un autre tournant. Je ne sais pas comment tout ça va finir. Probablement mal. A peine a-t-elle prononcé cette phrase que l'homme réagit en lui attrapant le bras. Dans ma tête, c'est un peu le bordel. « Eh ! » lâchai-je tandis qu'il lui demande d'un ton chargé de provocation, qu'est-ce qu'elle compte faire s'il ne se calme pas. Il ajoute même à ça un sourire narquois. Sans tardé, la verre de la jeune femme lui arrive en pleine face. Les choses sont sur le point d'empirer, c'est évident alors qu'elle lui répond qu'elle l'emmerde. Le type s'essuie le visage. Je profite de ça pour faire le tour du comptoir et m'approcher jusqu'à lui. Pour la deuxième fois de la soirée, je vais m'adresser à lui. « Je vais vous demandez de quitter le bar. » dis-je sur un ton toujours poli. Pourquoi je continue d'être poli avec un con pareil ? Surtout qu'au moment où il lève les yeux vers moi, je comprend qu'il est tout sauf près à partir. Son poing atterri en plein sur ma joue gauche et avec la force de celle-ci et ma jambe en lambeau, je me retrouve face à la table de derrière avec les seules mains posées sur celle-ci. Je me redresse bougeant doucement ma mâchoire. J'inspire longuement avant de retourner en face de lui. L'espace d'un instant je me demande ce que je peux bien faire. Et très vite je me refuse à laisser cette fille -même si elle semble savoir se défendre toute seule- en compagnie de ce con. Alors j'approche du type l'attrapant par le col de sa chemise et le plaque contre le comptoir. Et là, je lève mon poing. Il se débat du mieux qu'il peut mais pour le coup, je suis bien supérieur à lui physiquement. Je m'apprête donc à lui renvoyer la même droite qu'il m'a offert quand un quatrième intervenant débarque dans la pièce. « Karlsson ! » La voix grave du patron du bar retentit dans la pièce. Je tourne rapidement la tête vers lui. « Je peux savoir ce que tu fous ? Laisse ce gars tranquille. » Je baisse alors le poing puis je relâche l'emprise que j'avais sur lui. Je le quitte pourtant pas des yeux. Remettant sa chemise en place, l'homme finit par s'écarter. « Il est complètement fou, ce mec. Je me casse. » dit-il au patron qui le regarde quitter les lieux. Quand à moi, je retire mon tablier étant sûr que ce soir était mon dernier jour ici. Je préfère partir avant d'entendre une énième fois que je me fais virer. Une fois que j'ai enlevé le tablier, je le pose sur le comptoir puis j'adresse un rapide coup d’œil au patron du bar qui comprend à ce moment-là que je quitte le boulot. Un énième job que j'ai pas su garder. La liste est déjà longue. A vrai dire, ça fait bien longtemps que j'ai arrêter de les compter.